Transformer les horreurs de la guerre en art ?

 

L’exploration cinématographique de la guerre dans Facing Darkness 

Le film d’animation japonais Le château ambulant [en japonais : ハウルの動く城] (2004) contient une réplique particulièrement perspicace qui résume l’essence des guerres. Contrairement au roman de Diane Wynne Jones (1986), qui a servi de pré-texte à la vision de Hayao Miyazaki, le film est profondément marqué par une éthique anti-guerre dynamique. Stupéfait de découvrir le rôle qu’il joue dans l’ordre social, le personnage principal Howl souligne le pouvoir démoniaque et destructeur des guerres1. Dans sa conclusion, qui ne peut échapper à un œil aiguisé, l’accent est mis sur la désintégration totale de (l’idéal de) l’humanité. Le sorcier dit prophétiquement, et j’ose dire universellement : « Après la guerre, ils ne se souviendront plus jamais qu’ils ont été humains ».

Qu’est-ce qui relie le film d’animation japonais susmentionné et le documentaire Se souvenir d’une ville (2023) du réalisateur Jean-Gabriel Périot ?2 N’existe-t-il pas des pratiques, des genres, de poétiques artistiques de toutes sortes ? Comment mettre sur le même plan les contextes de l’Asie de l’Est et de l’Europe ? Pourquoi insister sur ce point ?

Outre ces multiples raisons, d’autres arguments doivent être pris en considération. Ma motivation initiale provient d’une perspective personnelle déterminée par un moment situé il y a des années, lorsque j’ai rencontré pour la première fois le monde de Miyazaki. Après la guerre, dans la Bosnie massacrée et dans ma ville natale de Sarajevo, pendant les années de survie marquées encore par la destruction de la Yougoslavie durant la guerre, nous étions affairés à réparer et de déterrer les traumatismes de la guerre. Dix ans après la fin de la guerre, je me suis retrouvée à réfléchir au cours de mes études universitaires, centrées sur les livres que j’avais absorbés pendant la guerre. Cette littérature avait servi de barrière protectrice infranchissable. Après une longue période de recherche sur la guerre, il est devenu évident, d’après ma mémoire peu fiable, que l’après-midi en question, au cours duquel j’ai regardé Le Château ambulant sur la télévision fédérale en panne (aussi en panne que la Bosnie-et-Herzégovine)3, a eu un effet formateur sur moi. Dans le domaine de la réception, le dessin animé japonais a déterminé, sans le savoir, l’importance que j’accorde à la responsabilité scientifique et l’intégration de mon éthique dans les traumatismes de guerre. Ces facteurs ont également influencé l’approche à l’œuvre dans cet article. Bien que les considérations susmentionnées se rattachent de manière significative au contexte de l’article, elles ne constituent qu’une première approche du lien solide que je cherche à établir entre les deux films et que je vais tenter de mettre en évidence.

La représentation artistique et historique de la guerre en Bosnie reste un sujet d’intérêt et de recherche de première importance. Cette position est conforme à la perspective adoptée par Susan Sontag, qui a observé que le siège de Sarajevo, à travers le prisme des rapports de guerre, le pouvoir des médias et des caméras ; la guerre en ex-Yougoslavie est devenue la première guerre qui a pénétré dans un million de salons à travers le monde. Sontag souligne ainsi le pouvoir de transformation des scènes et des photographies, « qui donnent forme aux catastrophes et aux crises auxquelles nous prêtons attention, ce à quoi nous nous intéressons et, en fin de compte, les évaluations qui sont attachées à ces conflits ». (Sontag, 2003 : 104). Une partie importante de séquences filmées qui se sont ainsi frayé leur chemin jusque dans les salons est composée des enregistrements qui ont été utilisés par Jean-Gabriel Périot dans la création de son œuvre cinématographique.

Le documentaire Se souvenir d’une ville se définit à la fois comme un film de guerre et d’après-guerre. Le film se concentre thématiquement sur le rôle social du genre documentaire de guerre. Dans le cadre de l’organisation artistique du film, qui comprend six caméras et six regards, la partie consacrée à l’après-guerre est constituée par un dialogue ultérieur avec les participants de la première partie du film, trente ans plus tard.

Dans la première partie de Se souvenir d’une ville, outre l’assemblage réfléchi du récit de sa compréhension du siège de Sarajevo, le réalisateur relève un défi : celui de présenter pour un large public les caractéristiques communes à toutes les guerres. En utilisant des séquences vidéo originales de Sarajevo assiégée, le réalisateur construit une nouvelle structure narrative, actualisant ainsi des événements historiques. En même temps, son procédé doit être compris comme une « discussion sur la construction idéologique enfouie dans les représentations de constructions historiques aussi simples que les oppositions » (Godmilow & Shapiro, 1997 : 80-101). Le douloureux assemblage, qui constitue la première partie du film, fonctionne également comme une citation « littérale » dans le tissage du récit de la guerre. Périot s’identifie à l’optique des cinéastes originaux de la guerre, notamment Nedim Alikadić, Smail Kapetanović, Dino Mustafić, Nebojša Šerić-Shoba et Srđan Vuletić4. En utilisant les collages cinématographiques de cinq témoins de la guerre - comme une projection de l’espace et du temps réels de la guerre - il a trouvé une solution unique qui entremêle les éléments de la réalité, du documentaire et du drame. Cette solution est guidée par la présentation de l’événement, qui valide ainsi son historicité et son authenticité immédiates.

Le phénomène de déshumanisation décrit par le personnage Howl, dans le film de Miyazaki a été saisi dans sa forme la plus brutale dans Se souvenir d’une ville. Cette minute anthologique, écrite et filmée par Srđan Vuletić et habilement intégrée au récit de Périot, sert à témoigner du caractère sanglant de la guerre en Bosnie. Simultanément, il établit un parallèle entre la ville japonaise d’Hiroshima et la ville assiégée de Sarajevo. Dans son approche théorique des films de guerre, Taihei Imamura affirme que le film est capable de transmettre des significations que les mots seuls ne sauraient exprimer. À cet égard, la combinaison de l’art et des pratiques sociales orientées vers la conscience - à la fois dans le film de Vuletić et dans le contexte du travail cinématographique de Périot au niveau de « l’expression est possible » (Nornes, 2003 : 99). Ce court métrage, placé parmi les images et les mots écrits sur deux papiers jaunis (Sarajevo, / 47 ans, 6 mois, 17 jours / après Hiroshima.), met en pratique une approche directe et la vitalité de ses propres médias pour visualiser l’ampleur de la destruction violente de l’humanité.

Au niveau de l’opposition des plans, la transition se caractérise par le passage de l’idylle hivernale, avec son vide inquiétant et sa mort, à des images saisissantes de l’horreur des corps ensanglantés, massacrés et morts. La sensibilité artistique de Vuletić repose sur une technique brillante qui, malgré son horreur, est conservée intacte par le réalisateur de Se souvenir d’une ville. Cette habileté est évidente dans l’utilisation de symptômes liés à la guerre, en vue de susciter la protestation et la sensibilisation, rappelant ainsi les principes du cinéma vérité et l’impact cathartique du cinéma de sang. La corrélation entre les expériences de Hiroshima et de Sarajevo, telle qu’elle est perçue à travers le prisme de l’optique cinématographique, s’associe à la notion d’universalité de la nature destructrice de la guerre. Cette notion transcende la temporalité historique et s’étend au temps mesuré par les vies humaines. Cependant, cette hypothèse soulève des questions importantes. Tout d’abord, les scènes de boucherie fonctionnent-elles simplement comme des séquences ou documents de guerre, ou bien leur esthétisation peut-elle influencer un changement dans la conscience du spectateur ? Il a été noté, pour paraphraser Susan Sontag, que le public accepte souvent la mort violente plutôt que de réfléchir à son caractère injuste.

 

Le film en tant qu’art et engagement éthique

La distinction complexe entre le film documentaire et film d’art est souvent réduite à la philosophie de l’esthétisation, où l’art est considéré comme une simple manifestation de plénitude et de pureté. Jean-Paul Sartre a mis en lumière le sujet controversé du « purisme esthétique », qui affirme que tout engagement tue la littérature, c’est-à-dire que "cet engagement est nuisible à l’art d’écrire" (Sartre, 1949 : 26). Dans son texte « Qu’est-ce que la littérature ? », Sartre soutient au contraire que l’art n’est pas dévalorisé par l’engagement. Il suggère en outre qu’une "œuvre d’art comporte une valeur pour autant qu’elle comporte un appel" (Sartre, 1949 : 49). Cette constatation effectuée dans le domaine de la littérature vaut également dans le domaine du cinéma, en particulier en ce qui concerne les relations et les questions idéologiques ou politiques qui sont devenues des sujets d’enquête. Dans cette perspective, on ne peut pas déduire de la relation complexe qui s’établit entre esthétique et engagement que le documentaire se réduit à un enregistrement non critique, comme si celui-ci était dépourvu de tout caractère artistique et n’impliquait pas un processus créatif. Cette hypothèse ne tient pas compte de l’importance de l’innovation dans le mode d’expression des auteurs de ce genre, de leurs connaissances, des problèmes qu’ils abordent, ni de l’observation selon laquelle un enregistrement apparemment passif du monde « passe par la conscience de la personne qui l’enregistre » (Imamura & Baskett, 2010 : 52-59).

En outre, lorsqu’on aborde ces questions, il est crucial de prendre en compte la position d’Anna Fischel, à propos de la nature subjective de la relation entre l’auteur et les sujets dépeints dans le film. Les ressources de la subjectivité du cinéaste sont fondées sur les connaissances et les expériences qui émergent de la tâche fondamentale du film, laquelle consiste à enquêter sur « les questions éthiques et idéologiques » (Fischel, 1989 : 35-40). Outre qu’il va dans le sens de cette approche du documentaire de guerre, le film qui fait l’objet de ce court article – Se souvenir d’une ville – démontre un lien significatif qui existe entre l’esthétique et l’engagement. La genèse du film rend manifestes les connaissances historiques de Jean-Gabriel Périot ainsi que sa capacité à développer la représentation d’événements en cours, elle repose sur ses recherches approfondies sur le siège de Sarajevo, et une approche innovante qui incorpore des entretiens avec cinq auteurs (des séquences originales de la première partie du film) dans la deuxième partie du film. Cette stratégie particulière met l’accent sur l’adéquation de cette démarche avec le cadre narratif du film. Ainsi se trouve soulignée l’efficacité du réalisateur dans l’exploitation du support cinématographique pour la reconstruction des enregistrements de la guerre, mais aussi pour dépeindre son contexte historique. Pour les participants, qui ont filmé la guerre, Alikadić, Kapetanović, Mustafić, Šerić et Vuletić, l’entretien sert de support destiné à faciliter le processus de témoignage du traumatisme.

Pour comprendre le processus de réalisation du film Se souvenir d’une ville, il faut reconstruire le modèle utilisé par le réalisateur pour explorer sa propre poétique documentaire. Dans le contexte des représentations artistiques du phénomène de la guerre, les choix esthétiques visuels et les dilemmes éthiques impliqués dans la technique consistant à « raconter une ’histoire vraie’ » (Godmilow & Shapiro, 1997 : 80-101) revêtent une importance particulière. Malgré des différences évidentes, le récit cinématographique de la guerre est comparable au récit littéraire. J’établis ce parallèle à la lumière de mes recherches antérieures, une série d’articles et une thèse de doctorat sur la littérature de guerre des femmes auteurs post-yougoslaves. Le point central de cette recherche est la quête d’une perspective féministe qui offre une critique de la culture de la guerre et qui est inspirée par une vision éthique de l’engagement. Cette approche est soutenue par une analyse minutieuse des fondements philosophiques des principes éthiques de résistance à la guerre et au militarisme. En même temps, je mets l’accent sur la préservation de l’humanisme, de l’empathie et sur la construction du pacifisme. L’acte d’engagement éthique, en plus de dicter le cadre de l’œuvre à travers lequel il est réalisé, s’adresse directement aux lecteurs ou, dans ce cas, au public. Étant donné le haut degré d’engagement que j’ai identifié dans le film de Jean-Gabriel Périot, la trajectoire de ma recherche s’oriente vers la transformation du point de vue littéraire en un regard cinématographique. L’aspiration est de mettre en œuvre la transposition mentionnée ci-dessus, car la production cinématographique est considérée comme « un enregistrement politique utile », inspirant ainsi une réflexion collective sur le défi du cinéma responsable, tel que défini par Anne-Louise Shapiro. Elle utilise ce terme pour décrire les films, en particulier les documentaires, qui, selon elle, « devraient toujours présenter une bonne qualité artistique, une bonne qualité éducative pour l’esprit » (Godmilow & Shapiro, 1997 : 80-101). Par conséquent, on peut affirmer que le film étudié, réalisé par Périot, relève du genre anti-guerre, caractérisé par sa capacité à susciter la réflexion, à stimuler des réponses émotionnelles et à englober des éléments artistiques. Il est important de noter que le film a été remarquablement bien tourné et réalisé.

Le processus d’esthétisation de la violence de guerre peut être considéré comme un formidable défi pour tout auteur qui s’efforce de saisir et de présenter les multiples facettes de l’histoire traumatique. Par conséquent, le rôle de la caméra, c’est-à-dire des différentes caméras qui constituent le film, fait partie intégrante de Se souvenir d’une ville, car le film se plonge avec les cinéastes/cameramen de guerre au cœur du siège de Sarajevo. En ce sens, la condition spécifique d’Imamura - dont Nornes a noté qu’elle était essentielle pour le travail d’un documentariste - devient particulièrement saillante : à savoir, être préparé. En examinant ce film, il est important de reconnaître la volonté de cinq participants d’assumer un risque considérable, avec des conséquences potentiellement fatales, afin de saisir certaines scènes sur le vif et de les faire exister dans le chaos de la guerre. Cette approche audacieuse sert à transmettre des messages engagés au public. Dans la forme finale, qui intègre souvent cette « découverte spontanée », Périot exprime un engagement documentaire pour créer sa propre façon de raconter et de dépeindre cette histoire. Dans le documentaire Se souvenir d’une ville, la caméra devient une arme puissante, comme le souligne brillamment Imamura dans son œuvre - la caméra est comparée à une « épée japonaise prête à être brandie dans l’instant » (Nornes, 2003 : 105).

Ce pouvoir de la caméra a été constaté dans les guerres passées par des observateurs qui ont revu leurs propres vidéos et films à distance. Nebojša Šerić-Shoba, l’un des participants, utilise la caméra pour expérimenter et créer sa propre philosophie de la survie à la guerre, qui inclut également la parodie, ainsi que le pessimisme. Mais malgré les obstacles rencontrés, selon Šerić, le processus de tournage tente de « conserver certaines tranches de temps et d’espace ». De même, Nedim Alikadić, l’autre participant au film, a décrit la caméra comme un stylo, avec lequel, bien qu’en amateur, il a écrit ses propres histoires et celles des autres, pour « garder une trace du temps ». Smail Kapetanović, un troisième participant, a évoqué le rôle du caméraman, déclarant que la caméra servait de mode de survie et de support pour transmettre des appels à l’aide et des messages aux générations futures, « "pour apprendre de nos erreurs ».

Après une période de dialogue avec les vidéos des témoins de la guerre, Périot a transporté dans son film les connaissances, les expériences et les attitudes des participants qui apparaissent dans Se souvenir d’une ville. Ce processus a permis de communiquer la guerre et ses représentations cinématographiques à un public contemporain. Les bonus du documentaire contiennent une interview de Dino Mustafić, un réalisateur contemporain renommé, qui, en plus de sa responsabilité dans le tournage pendant la guerre, propose une interprétation des avantages de l’horreur. Il affirme qu’« en tant qu’artiste, dans ce laps de temps condensé, on mûrit comme si on avait passé des années ou des décennies à pratiquer et à maîtriser nos compétences ». Les films réalisés par les deux réalisateurs, Vuletić et Mustafić, sont la preuve qu’une telle compétence a émergé de la guerre. Cet enregistrement fonctionne comme une forme matérielle de la mémoire de la guerre, à laquelle se réfèrent tous les participants de Se souvenir d’une ville. Selon Srđan Vuletić, (dans les bonus vidéo du film) cet enregistrement permet à cette « voix authentique d’être entendue ». L’acte de filmer les horreurs de la guerre, tel qu’articulé par Taihei Imamura, a fonctionné comme une forme d’activité de pacification. En outre, le texte et le film opèrent avec l’effet de produire un état de choc associé à la « tâche éthique de secouer la conscience des lecteurs » et du public spectateur et dans leur for intérieur [et immédiateté non censurée] (Omeragić, 2023 : 100). De manière générale, l’objectif de l’appel est double : d’une part, provoquer une réaction anti-guerre et émotionnelle dans l’esprit des spectateurs ; d’autre part, les éduquer par le choc et la confrontation avec l’horreur de la guerre, par leurs " outils avec lesquels articuler une critique applicable à toutes sortes de situations sociales et historiques " (Godmilow & Shapiro, 1997 : 80- 101). De la même manière, Srđan Vuletić souligne l’importance de l’optimisme que le film en général suscite.

En s’adressant au public, Se souvenir d’une ville lance un authentique appel humaniste, encourageant la réflexion et l’affirmation de l’idée de résistance aux horreurs de la guerre à travers l’art de la survie.

D’autre part, ce documentaire se caractérise également par une critique solide et acerbe. Malgré la brutalité de certaines séquences, l’atmosphère du film porte la marque d’une subtilité idéologique, suggérant une négation de la réalité sociale inspirée par des idéologies sujettes à caution, nationalistes, et qui non seulement imprègnent mais aussi mécanisent les actions des systèmes sociaux à l’échelle nationale tant qu’ internationale.

L’art doit-il être aveugle à la guerre ? Pouvons-nous survivre dans l’espoir que l’art contribuera finalement au développement de la conscience et donc à la prévention des guerres, ainsi qu’à l’engagement en faveur de la justice (par exemple, l’utilisation d’enregistrements de la guerre de Bosnie qui ont été utilisés lors des procès au Tribunal de La Haye) ? Peut-être que changer de chaîne de télévision, comme le décrit Susan Sontag à propos de la répétition des photos d’horreur de la guerre de Bosnie, est la seule option sûre. L’avenir de ces plus de cent dix mondes que nous ne voyons pas, sur lesquels nous nous taisons parce notre heure d’affronter le mal n’est pas encore venue... Regardez le documentaire de Périot  Se souvenir d’une ville.

 

Merima Omeragić5
Centre international d’études culturelles (ICCS)
Université nationale Yang Ming Chiao Tung Hsinchu, Taïwan
Ici et ailleurs
19 mars 2025 
https://ici-et-ailleurs.org/contributions/esthetique-et-critique/article/turning-war-horrors-into-art

 

1 Le réalisateur incorpore le thème de la guerre dans le film de telle sorte que ses dilemmes intimes, motivés par des souvenirs de la Seconde Guerre mondiale, émergent comme une protestation contre les expériences traumatisantes d’une enfance en temps de guerre (voir Murakami, 2005). Ainsi, les dilemmes qui entourent la réticence de Howl à participer à la guerre et la tâche de défendre ses proches, et même les doubles choix qu’il fait, sont le produit de ses crises complexes d’identité et de conscience. Miyazaki construit ce doute dans la représentation physique du sorcier, qui se transforme en un oiseau monstrueux à cause de la guerre, afin de souligner que tout, du point de vue de la guerre, est un processus inutile que l’humanité traverse (voir Akimoto, 2014). Les scènes de destruction en temps de guerre et les souffrances de la population civile dépeintes dans Le château ambulant de Howl soulèvent la question du pacifisme. Le point de vue du pacifisme a été construit par la préoccupation du réalisateur d’apporter une réponse adéquate au contexte historique par le biais du film/de l’art. En fait, Miyazaki révèle son intention de critiquer et de s’opposer clairement à la guerre d’Irak (2003) (voir Cavallaro, 2014), en cours au moment de la production et de la projection du film. L’approche engagée du réalisateur place le film dans les contextes contemporains de l’Ukraine, de la Palestine et de la crise la plus récente au Congo. Bien que j’aie mentionné les guerres les plus médiatisées, j’aimerais souligner que, selon les données de RULAC : Rule of Law in Armed Conflicts (Académie de Genève : https://www.rulac.org/), qui classifie les données en termes de droit international humanitaire, il y a plus de 110 conflits armés dans le monde aujourd’hui, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, sur le continent africain, en Asie, en Europe, en Amérique latine...

2 L’objectif de cette enquête scientifique est d’examiner les pratiques de réalisation engagées ou, plus précisément, la relation entre la réalité et l’art. Cette analyse utilise le film documentaire comme étude de cas.

3 La guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995) a pris fin avec la signature de l’accord de paix de Dayton, mais le pays est devenu complètement dysfonctionnel et ne s’est jamais vraiment rétabli. La guerre a divisé la Bosnie-et- Herzégovine en deux entités : la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine et la République serbe de Bosnie. L’accord a confirmé le nettoyage ethnique qui avait eu lieu pendant la guerre. La coupure est profonde, servant de terreau perpétuel aux crises politiques et au découragement, alimentés par l’objectif principal de perpétuer l’inimitié entre les trois groupes ethniques dominants. L’accent mis sur l’inimitié entre les gens est un stratagème pour masquer la véritable corruption politique et tous les types de corruption qui sont devenus la norme. En conséquence, la Bosnie-Herzégovine est en tête de liste des classements négatifs en Europe, avec des problèmes tels que la corruption, la pauvreté et une crise des droits de l’homme et de la législation.

4 Dans cette analyse, le terme "filmographes" est utilisé pour souligner deux points importants. Premièrement, il met en évidence l’élément d’imprévisibilité inhérent à la guerre, qui est habilement capturé et documenté par ces auteurs et réalisateurs. Deuxièmement, il met l’accent sur le fait que la guerre fonctionne comme le principal réalisateur de ces enregistrements, façonnant le contenu et l’essence des séquences capturées. Par essence, la nature des événements de guerre sert de catalyseur principal pour le contenu de ces enregistrements, illustrant ainsi sa profonde influence sur le médium de la documentation vidéo.

5 Cet article a été écrit dans le cadre d’un projet de recherche et d’une bourse postdoctorale financés par le Conseil national de la science et de la technologie (Taïwan), n° NSTC 113-2811-H-A-49-509.

 

Films :
Périot, Jean-Gabriel (réalisateur). Se souvenir d’une ville (Facing Darkness]) France, Suisse, Bosnie-Herzégovine, 2023.
Miyazaki, Hayao (réalisateur). Le Château ambulant, Studio Ghibli. Japon, 2004.

 

Littérature :
Akimoto, Daisuke. Howl’s Moving Castle in the War on Terror". Electronic Journal of Contemporary Japanese Studies, Vol. 14, Issue 2, (Discussion 4 in 2014), n.p. Disponible en ligne : https://www.japanesestudies.org.uk/ejcjs/vol14/iss2/akimoto.html (Accès : 02/19/2025)
Cavallaro, Dani. Les dernières œuvres de Hayao Miyazaki : une étude critique, 2004-2013. McFarland, 2014.
Fischel, Anne. "L’engagement et le documentaire". Jump Cut, no. 34, mars 1989, pp. 35-40.
Godmilow, Jill, Ann-Louise Shapiro. "How Real is the Reality in Documentary Film ?" (À quel point la réalité est-elle réelle dans le film documentaire ?) History and Theory, Vol. 36, No. 4, Theme Issue 36, 1997, pp. 80-101.
Imamura, Taihei, Michael Baskett. "A Theory of Film Documentary". Review of Japanese Culture and Society, Vol. 22, Decentering, 2010, pp. 52-59.
Murakami, Takashi. Little Boy : the Arts of Japan’s Exploding Subculture. New York : Japan Society, 2005, pp. 102-105.
Nornes, Abé Mark. "Charmes élégants : When Hard Style Becomes Hard Reality Titre du livre : Le film documentaire japonais". In : Japanese Documentary Film : The Meiji Era through Hiroshima. University of Minnesota Press : Minneapolis et Londres, 2003, pp. 93-120.
Omeragić, Merima. Post/jugoslavenska antiratna ženska proza [Prose féminine anti-guerre post- yougoslave]. Thèse de doctorat. Faculté de philologie, Université de Belgrade, 2023, Disponible en ligne : https://nardus.mpn.gov.rs/handle/123456789/21842 (Accès : 25/02/2025).
RULAC : Rule of Law in Armed Conflicts (État de droit dans les conflits armés). Disponible en ligne : Académie de Genève : https://www.rulac.org/ (Accès : 19/02/2025)
Sartre, Jean Paul. Qu’est-ce que la littérature ? Trans. Bernard Frechtman, Philosophical Library : New York, 1949.
Sontag, Susan. La douleur des autres. Farrar, Straus et Giroux : New York, 2003.